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Vente des sous-marins ; contrat annulé unilatéralement par l’Australie


 

par le Général (2S) Roland DUBOIS

 

Si les choses se sont passées comme on nous le dit il y a de quoi être en colère contre le trio anglo-saxon. J’ai de la peine à croire que le président français n’ait pas été pré-alerté. Mais la manière en tout cas reste indigne de pays avec lesquels nous sommes alliés depuis plus d’un siècle. Et le Royaume-Uni et l’Australie n’ont pas hésité à faire cette annonce depuis la capitale du « grand frère » bénéficiaire en outre du « hold-up ».


Un contrat aussi important ne se résume pas à une signature en bas du bon de commande, comme quand on achète un frigidaire. Surtout dans le domaine de l’armement, c’est toujours très compliqué, processionnel, sujet à de multiples remaniements au fur et à mesure du développement des études, des tractations entre les parties. Quelles sont les transferts de technologie acceptés, les sites de construction, les pénalités envisagées, les personnels à former ? Les délais ont-ils été respectés ? Tout cela, qui se passe en coulisse et cache les coups de canif dans le contrat qui peuvent être le fait des deux parties, le grand public ne le saura pas.


Nous n’aurons que le spectacle de l’empoignade diplomatique ; et la certitude que notre pays est publiquement humilié et va perdre beaucoup d’argent. Dur à supporter ; et à excuser. Nous avons le droit d’être vexé. En fouillant un peu dans un coin de notre tête, souvenons-nous cependant que nous avons nous aussi, sous M. Hollande, fait un coup tout aussi pendable aux Russes en refusant au dernier moment une vente de frégates pratiquement terminées et payées. Les indignations sont changeantes.


Quant au fond, il faut essayer de garder la tête froide. Quand l’Australie dit que ses besoins ont changé, on peut (presque) la croire. Mais on peut regretter qu’elle ne s’en soit pas aperçue plus tôt ; car ce n’est pas un scoop de découvrir maintenant que les performances des sous-marins à propulsion nucléaire sont supérieures à celles des sous-marins classiques : vitesse , rayon d’action y compris en plongée quasi illimité, discrétion. Or ce contrat avec la France est vieux de 5 ans.


Regardons une carte ; ce qu’il faut toujours faire. Depuis quelques années la situation stratégique dans le Pacifique a évolué et a vu les tentations hégémoniques de la Chine s’accroitre, sa puissance militaire grandir. Elle inquiète tout le monde. L’Australie c’est un continent ; 14 fois la France en superficie mais seulement 25 millions d’habitants. Elle retrouve le même sentiment de vulnérabilité que face au Japon au 20ème siècle ; elle cherche des alliés dont elle peut espérer un soutien politique et militaire crédible. Qui peut lui garantir ça ? La France ? Le souci stratégique a noyé le respect d’un accord commercial.


Quand le Figaro écrit que « c’est un sacré coup dur pour la stratégie indopacifique de la France et de l'UE qui, par ce contrat, pouvaient asseoir leur crédibilité dans la région », cela prouve qu’on continue à rêver, à ne pas voir les choses en face. La crédibilité repose d’abord sur la capacité à agir, sur la force potentielle donc et bien sûr la volonté politique qui va avec. Or l’Europe n’existe pas politiquement et militairement. Pas de quoi rassurer un état situé aux antipodes. Qui d’autre que les Etats-Unis peut être ce garant ; même si ce choix n’est pas sans doutes et arrières pensées ? Je serais d’ailleurs très surpris que le Japon, Taiwan et la Corée du Sud, d’autres peut-être, ne rejoignent pas rapidement cette « alliance de containment » contre la Chine qui est en train de se constituer.


Pour nous quelle est la leçon ? Croire que le monde entier nous regarde et nous admire au point d’être gentil avec nous émeut sans doute les nostalgiques de notre gloire passée, mais c’est improductif et ne correspond pas à une réalité. Les états n’ont pas d’amis mais peuvent avoir des alliés par communauté d’intérêt. Nous sommes désormais une puissance moyenne ; mais qui peut compter dans le monde, si nous le voulons et consentons les efforts nécessaires. Imaginer que notre diplomatie peut être efficace sans s’appuyer sur un outil militaire crédible n’est que du vent. Les grands costaux sont toujours plus écoutés que les autres.


Hors l’Europe tout le monde se réarme. Tant que nous ne dépenserons pas au moins 3% de notre PIB pour notre défense (4% serait mieux) nous ne serons pas crédibles dans les grandes affaires du monde, et nous continuerons à nous faire marcher sur les pieds. Nous sommes étonnés que notre engagement indopacifique ne soit pas davantage pris au sérieux ? Mais, pour n’évoquer que le domaine naval, combien de navires de combat pouvons-nous déployer là-bas, où d’ailleurs de nombreux territoires peuplés de Français attendent protection? Souverains d’un domaine maritime de 11 millions de Km², le deuxième du monde, nous avons une marine sous dimensionnée, éparpillée sur toute la planète.


Le tableau ci-dessous montre bien l’inadaptation de nos moyens aux besoins (chiffres 2017 ; tonnages en million de tonnes). Et tous les 4 ans la Chine augmente sa flotte d’un tonnage équivalent à toute la flotte française.



De quelque côté que l’on se tourne, nous ne pourrons être crédibles, inspirer le respect et une certaine prudence à notre égard, influencer, dans notre intérêt égoïste, les affaires du monde, que si nous nous forgeons un outil militaire complet adapté à nos ambitions politiques.


D’ailleurs, et pour rester dans le domaine de la défense proche, c’est une condition absolument nécessaire avant d’envisager de sortir de l’OTAN. Et même dans ce cas nous aurons besoin d’alliés.



Général (2S) Roland DUBOIS - VPF Ile de France

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